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A l’occasion de la vie et de l’œuvre de Paracelse, nous avions signalé que la famille Fugger avait financé l’élection de Charles Quint comme empereur du Saint Empire en 1519. Ce succès faisait de ce prince le plus puissant d’Europe puisqu’il avait reçu en héritage par son père les domaines de la maison d’Autriche et de celle de Bourgogne, et par sa mère toutes les possessions de la couronne d’Espagne. En résumé, la France était encerclée de toutes parts ; si on ajoute à ce tableau qu’il avait des prétentions sur le reste de la Bourgogne et sur le Milanais, il devenait évident qu’il représentait une menace permanente pour François Ier et que la guerre était inévitable.
De fait, elle dura quarante ans avec des hauts et des bas pour nos armées (point besoin d’insister sur l’occupation des Trois-Évêchés ou sur le désastre de Pavie) et ne devait se terminer qu’en 1559 avec le traité de Cateau-Cambrésis. Trois ans avant la signature de cette paix, Charles-Quint, contraint de négocier avec les princes protestants allemands en 1555, abdiquait l’année suivante et se décidait à partager ses États entre son fils Philippe II pour tout ce qui était du domaine espagnol et de son frère Ferdinand pour les territoires se situant à l’est de la France.

Intéressons-nous à ce dernier qui, du fait de cette bipartition, devenait le maître d’un ensemble immense : l’Autriche, la Hongrie, la majeure partie de l’Europe centrale ainsi que le titre impérial tombaient dans son escarcelle. Son empreinte fut pourtant assez faible dans la mesure où il ne régna que huit ans et fut remplacé à sa mort en 1564 par son fils qui prit le nom de Maximilien II. En dehors de quelques rapprochements avec les idées luthériennes, ce qui fit quelque peu désordre pour un empereur, celui-ci n’a pas laissé non plus une trace indélébile dans l’Histoire. Son règne à lui aussi fut relativement éphémère puisqu’il dura à peine plus longtemps que celui de son père, en clair douze ans. C’est en 1576 que lui succéda son fils, à savoir Rodolphe II de Habsbourg, auquel nous consacrerons ces quelques lignes.

Disons tout d’abord qu’il fut béni par la chance car, du fait de la liberté de culte imposée en Allemagne à son grand-père Charles Quint, il ne connut pas, contrairement aux rois de France, les guerres de religion ainsi que ses massacres et s’efforça de maintenir les deux communautés en bonne intelligence. En outre, il mourut seulement quelques années avant la funeste guerre de Trente Ans qui embrasa son royaume, échappant au sinistre résultat qui signa définitivement l’arrêt aux prétentions hégémoniques de sa dynastie en Europe… Ce n’est pas pour autant que son passage sur le trône fut d’un calme absolu ; mais, si l’on excepte la reprise des hostilités avec l’Empire ottoman à partir de 1593 et surtout l’âpre lutte avec son frère Mathias dès 1606 pour le pouvoir (qui finit par s’imposer en 1611, ne laissant à Rodolphe que le titre impérial), on peut dire qu’il y eut approximativement une période de trente cinq ans de paix dans le royaume, ce qui n’était alors pas si fréquent ! Fort logiquement, dans ces conditions, les pays concernés connurent un essor sans précédent.
Paradoxalement, l’acte politique le plus important à mettre au crédit de Rodolphe ne tint pas dans les faits retenus auparavant, mais fut de nature beaucoup plus pacifique : en 1583, il déplaça sa capitale de Vienne à Prague. Cette dernière devait connaître un âge d’or, devenant grâce à Rodolphe un des plus grands foyers culturels et artistiques en Europe. Très jeune, celui-ci eut le goût des collections et vénéra les oeuvres d’art ; il acheta des Titien, des Dürer, des Breughel… mais son peintre préféré demeura Arcimboldo qui le suivit dans sa nouvelle résidence et qui le représenta sous les traits du dieu des jardins dans une célèbre toile. Sa passion pour les pierres, tout comme celle pour les camées, était également bien connue mais Rodolphe n’était pas qu’un esthète. Il se passionnait aussi pour les sciences et réussit à retenir auprès de lui de grands talents : on pense tout particulièrement aux astronomes Brahé et Kepler, ce dernier étant également féru d’astrologie tout comme le prince. Mais si d’autres vinrent contribuer au rayonnement de la ville de Prague, c’était pour être sûr d’y trouver un accueil bienveillant car, pour le reste, il ne fallait pas s’attendre à ce que l’empereur se répandît en dons et pensions. A l’exception du premier nommé, Tycho Brahé, qui vécut dans l’opulence et qui obtint même la construction d’un observatoire financé par son mécène, la majorité des savants en général vivaient chichement mais la grande différence résidait dans le fait qu’ils n’étaient pas pourchassés ! Ainsi, Kepler en était réduit à vendre des horoscopes et des almanachs pour arrondir ses fins de mois. Mais si Rodolphe était épris de sciences au sens strict (on dispose de nombreux témoignages pour son vif intérêt en faveur des automates et de l’optique), sa curiosité pour l’alchimie n’en était pas moins aiguë.
La preuve en est qu’il y aurait eu jusqu’à deux cents alchimistes travaillant pour lui ; ceux-ci logeaient dans la Ruelle d’Or (tout un programme !), une petite impasse de Hradcany, bordée de maisons aux teintes vives et mates dans laquelle un homme tient à peine debout. Car tous les biographes de Rodolphe sont d’accord pour dire que les alchimistes semblaient être les bienvenus en Bohème et que le monarque en personne n’était pas le dernier à pratiquer l’Art royal. Cela est attesté par les commentaires acides de l’ambassadeur de Toscane écrivant à son endroit qu’il essaie lui-même des expériences d’alchimie et il est occupé à fabriquer des pendules, ce qui va contre le décorum d’un prince. Il a transféré son siège du trône impérial au tabouret d’un atelier. Ces critiques étaient-elles fondées ? Peut-être… mais, cependant, elles n’empêchèrent pas Rodolphe, bien qu’il demeurât sensible à toutes les sciences, y compris celles relevant de l’ésotérisme au sens large, de garder des principes intangibles en politique. A la fin de sa vie, en 1609 (il décéda trois ans plus tard), il se trouva confronté à un problème épineux en Bohême (son propre frère Mathias effectuait un travail de sape pour récupérer la couronne de ce royaume et s’il échoua cette fois-là, ce ne fut que partie remise) ; sous la pression il dut signer une lettre de majesté autorisant les protestants à célébrer leur culte dans ce pays. En fait, il n’en voulait pas, ce qui ne l’empêchait pas par ailleurs de tolérer cet état de fait à titre individuel. Cela peut nous paraître incohérent ; mais, pour Rodolphe, il était impensable qu’il pût leur accorder un droit collectif qui serait apparu, pour lui, comme une défaite politique. Ce fut le début de la fin car il fit appel pour le secourir à son neveu, le prince évêque de Nassau. Les Praguois résistèrent et il finit par être dépossédé du pouvoir par son frère en 1611.
S’il ne négligeait pas pour autant les affaires du royaume, fut-il, pour reprendre les mots de l’ambassadeur de Toscane, plus inspiré par le tabouret que par le trône ? Certains historiens ont expliqué ce désintérêt de la politique par un caractère mélancolique prononcé dû à une syphilis qu’il aurait contractée dans sa jeunesse. Car, à la différence de beaucoup de princes de l’époque, il n’était pas cruel mais donnait l’impression d’être indifférent aux autres. Il utilisait les gens pour leurs compétences et les rejetait s’ils se montraient incapables. C’est peut-être une raison justifiant le départ de John Dee, vrai érudit, en Angleterre alors que son compagnon Kelley, un fieffé escroc ait pu, lui, se maintenir à Prague. Dans un premier temps, Dee aurait prétendu qu’il était capable de rentrer en contact avec les esprits, ce qui ne pouvait qu’exciter le potentat passionné d’occultisme. Mais une lutte d’influence se serait engagée au palais entre le ministre Rumpf et le Grand chambellan, le prince Popel de Lobkovitz, qui était à la tête du parti catholique. Ce dernier apparemment l’emporta et la disgrâce du ministre aurait provoqué celle de Dee.

Pourquoi, contrairement à son compagnon de voyage, Kelley serait-il parvenu à se tirer d’affaire ? Il aurait alors approché Rodolphe en lui faisant croire qu’il aurait composé un élixir de vie (la fameuse panacée des alchimistes de la Renaissance) et qu’il aurait également réussi la transmutation. Quand on sait que l’alchimie recherchait dans ces deux directions depuis des millénaires et que Kelley prétendait avoir solutionné les deux, ces propos ne pouvaient que retenir l’attention de Rodolphe. Pourtant, cela paraît d’autant plus étrange que le monarque ait été sensible à ce genre de discours puisque, dans l’intervalle, bien que Kelley ne fût à Prague que depuis peu, il aurait coûté pour ses prétendues recherches la bagatelle de 300.000 florins d’or à Guillaume de Rosenberg qui était l’un des plus puissants seigneurs du pays. Kelley ne se montrant pas très discret, Rodolphe fut certainement très vite au courant ; tint-il compte de cette information à posteriori ? Il semble que non car, d’après certains récits, Kelley aurait véritablement réussi des transmutations devant l’empereur qui, subjugué, lui aurait conféré un titre nobiliaire. En fait, cette projection était une imposture car le prétendu adepte aurait bénéficié d’un comparse qui serait demeuré dans un coffre à double fond et qui aurait opéré, pendant que Kelley et Rodolphe auraient quitté la pièce, en obtenant de l’or à partir de mercure comme le faisaient bon nombre de charlatans à l’époque. Lorsqu’il apprit la ruse, on peut comprendre que Rodolphe dut avoir un accès de rage pour s’être laissé ainsi berner et sa décision d’avoir jeté par la suite l’alchimiste en prison s’explique par conséquent aisément.

Nous ne voudrions pas clore la vie de cet empereur sans rapporter l’anecdote (vraie ou fausse ?) suivante à son endroit. Depuis la prise de pouvoir de Matthias, Rodolphe n’était plus que l’ombre de lui-même, cloîtré dans son château de Prague. Son lion préféré mourut ; or, une prédiction lui avait annoncé que l’animal le précéderait de peu dans la tombe. Toujours cet occultisme qui résume assez bien son existence…Y eut-il une relation de cause à effet ? C’est difficile à dire ; mais il commença alors à connaître des problèmes aux jambes et la maladie s’installa. Il devint bientôt impossible de lui retirer ses bottes et la gangrène le prit. Il trépassa le 20 janvier 1612.

Fut-il un grand homme d’État ? La question reste ouverte ; en revanche, il est incontestable qu’il s’inscrit dans la lignée des princes humanistes tolérants (et c’était loin d’être évident de développer de telles valeurs après avoir été éduqué à la cour de Philippe II d’Espagne) et que la ville de Prague peut lui être infiniment reconnaissante. Celle-ci était un lieu sécurisé pour tous les alchimistes de l’Europe entière qui, en venant, se savaient préservés des dangers inhérents à leur fonction. Malheureusement cette politique de tolérance s’arrêta à la mort de Rodolphe ; d’ailleurs, tous les Philosophes ne s’y trompèrent pas : la Cour de Prague se vida instantanément de tous ses alchimistes qui s’en allèrent peupler celles des princes progressistes allemands.
Les idées hermétiques n’en avaient pas disparu pour autant et devaient bientôt se retrouver au centre d’événements historiques qui devaient bouleverser le destin d’une bonne partie de l’Europe. A titre posthume et peut-être aussi malgré lui, si l’on peut s’exprimer de cette façon, Rodolphe a donc joué un rôle considérable dans la tragédie qui se noua peu après…

 

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